Le second jour, tandis que nous échangions de graves réflexions sur l’avenir du monde après le dîner (on dîne à midi par là), un autre homme entra dans la pièce:
— Bonjour, Messieurs, Dames, dit-il avec énergie, il faut savoir si le monde va vers le jour ou vers la nuit.
C’était la question que nous nous posions justement. Allait-il y répondre? Non, il cherchait à placer des livres religieux. Tout de même, j’estime que cette intrusion avait un caractère étrange.
Au surplus, on dirait bien que les colporteurs helvétiques sont tous plus ou moins télépathes. […]
Les commerçants sont polis. Ils vous accordent un escompte sur vos achats, ils vous empaquettent joliment vos petites marchandises, les pièces d’argent tintent sur leurs comptoirs. Nous avons perdu l’habitude de ces manières aimables.
Et la «tête marbrée», et la «poitrine farcie» aux étalages des charcuteries! Et les coupes «Danemark» (glace vanille avec crème chaude chocolat — 10 minutes d’attente)! Autant d’inoubliables souvenirs.
Toutefois, on trouvait encore là-bas quelques traces de la guerre. Les gens subissaient, sans se plaindre, diverses privations. Voici, pour preuve, l’avertissement que l’on pouvait lire sur la carte d’un célèbre pâtissier de Montreux:
nous nous excusons
auprès de nos clients
de ne pouvoir encore
mettre en vente
nos spécialités de patisserie
les ZUCHERLIS
et les AMANDINOS
le rationnement
étant encore trop rigide.
On souhaite que le rationnement se soit assoupli et que le temps des Zucherlis et des Amandinos est maintenant revenu.
Extrait de: Rêver à la Suisse, Henri Calet (Flore, 1948; Pierre Horay, 1984), pp. 44-45 et 56-59.
Auteur: Henri Calet
Éditeur: Pierre Horay
Mots-clés: voyage, religion, charcuterie, colporter, pâtisserie, glace, guerre, rationnement.
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