Voyage en dehors de la Terre

par | 2 avril 2020 | Tribune

Le premier confiné moderne a été Jules Verne.
Des années, sous l’impulsion de l’éditeur Hetzel, ancêtre de quelque plateforme dématérialisée hypermoderne, il a fait le tour du monde assis dans son fauteuil, c’est le topos. L’histoire littéraire est connue: ses personnages, inlassablement, ont foulé tous les sols, ils ont circumnavigué, ils ont voyagé sous les mers et autour de la lune et même, dans Les enfants du Capitaine Grant, ils ont atteint l’ultime endroit où les virus chinois n’iront pas, Tristan Da Cunha.

Les personnages verniens ont gougueulisé.

Le XXe siècle a été le témoin de l’avant-gardisme de Verne. Il n’a pas été, comme on dit souvent, l’inventeur de la science-fiction (c’est Wells) mais plutôt homme de son temps, positiviste donc. Paradoxalement, c’est le désenchantement que l’écrivain a annoncé, celui d’un espace-temps sur Terre qui se réduit à mesure que l’on connait tout de la géographie du globe et qu’on s’y rende plus vite; Philéas Fogg anticipe Einstein et Easyjet.

Le moment qu’on traverse avec la pandémie 2020 annonce peut-être un de ces changements de paradigme qu’on aime évoquer périodiquement. Au cœur de l’action, on observe qu’une multitude de petits vernes paraissent, dans leur salon, vouloir écrire pour vouloir pouvoir dire… Quoi? C’est une abomination, un cancer. Verne avait quelque talent, un background, comme on dit en latin, un héritage, le romantisme, Poe. Quand on parle des petits vernes, on ne pense pas aux goguenards qui font du mème ou même parfois pondent des aphorismes spirituels. On pense aux «écrivains».
L’écrivain est un type sociologique longtemps respectable et respecté mais qui se reproduit comme des lapins au XXIe siècle numérique, paresseux et confortable (je suis moi-même acteur de cette paresse confortable et j’ajouterais: agnostique). L’écrivain du XXIe siècle, en tout cas en Occident, connaît quelques travers qu’un sociologue de la littérature observera: humanisme superficiel et schizophrénique, repli sur soi, égocentrisme pleurnichard et indécent, vacuité ou talent relatif à une échelle de production culturelle équivalente (comparativement à ce qu’on fait dans le théâtre, le cinéma ou la bande dessinée par exemple). C’est ainsi que, parce qu’écrire est devenu plus facile que faire un dessin ou se taire, l’écrivain du XXIe siècle, trop, va écrire sur le confinement (on m’a signalé que le chanteur à textes aussi).
Quand même, avec le temps, forcément, on en est revenu, les voyages extraordinaires de Verne avaient des vertus prospectives indéniables pour les lecteurs contemporains qui ne pouvaient pas encore voyager partout. Il s’agirait ici de les prolonger, suggérant aux Terriens qui ont tout vu d’aller encore plus loin, dans l’espace, les dimensions et l’imaginaire. Dès lors, il est crucial que l’on s’engouffre dans, développe et réinterprète le genre de la fantasy. Aucune autre forme d’écriture n’a de sens aujourd’hui, soit une littérature essentiellement évasive qui met en scène gobelins et sorciers, dragons et épées de feu, car il s’agit d’exorciser l’étroitesse étouffante de notre monde, celle des salons d’où l’on ne sort plus et du monde réduit par internet.

Héritiers de Howard, Lovecraft, Tolkien, Moorcock, Delany, Damasio, contre le réalisme en carton et l’autofictif, les écrivains pandémiques, s’il faut donner un nom à un mouvement littéraire, le voici, le pandémisme, seront – c’est un manifeste – infinis, merveilleux, surréels, utopiques, dystopiques, fantastiques et universels.

Auteur: Stéphane Bovon
Éditeur: Hélice Hélas Editeur
Relecteur: Stéphane Fretz
Mots clé: science-fiction, Jules Verne, écrivains, fantasy, pandémisme

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